Tendres guerriers, 10

Alors, le temps qu’on se retourne, Mirko a disparu. Dans la nuit même, Samson et Lourenço sont entrés en visioconférence. Celle-ci devait se prolonger à un rythme quotidien dans les jours qui ont suivi. Carmen y participait, et elle prenait des notes. “Selon Samson, disaient ces notes, des représailles auront lieu, nous ne devons pas en douter, mais par qui seront-elles exercées? Les Sabreurs sont sous le choc, la plupart pleurent comme des enfants la perte de leur camarade. Quant à ceux qui ne pleurent pas, qui seraient prêts à en découdre, leurs parents feront tout pour qu’ils ne retournent pas au combat, ils ne veulent pas les perdre, quitte à les enfermer dans des placards ou, au contraire, les exiler loin de la ville. En revanche, il faut s’attendre à ce que des mercenaires soient engagés. C’est ce que l’on craint. L’intervention d’un groupe armé venu de l’étranger. On connaît son nom, celui d’un compositeur allemand, qui fait trembler. Mais il paraît difficile d’imaginer que des tractations aient lieu pour engager ce groupe, et qu’un contrat se noue avec ses dirigeants, sans que nos services de renseignement l’apprennent. Ceux-ci sont à l’affût, faisons-leur confiance et, quand ils donneront l’alerte, restera à savoir encore quelle sera la cible désignée. Le plus probable est qu’on envoie ces tueurs s’en prendre à Mirko, où qu’il se trouve, et dans ce cas on ne pourra rien pour lui, et la Cité Aristote sera épargnée. C’est là le scénario le plus probable, et (osons le dire) celui qu’on peut souhaiter. Mais il n’est pas impossible non plus que la Cité soit attaquée. Il y a, dans la ville, une partie de la population très hostile aux migrants. Des gens qui vivent dans un monde où l’argent circule, où les marchandises circulent, où les informations, les savoirs et les technologies circulent, où les virus et les idées circulent, mais dans lequel ils voudraient que les humains ne circulent pas. Ou peut-être, plus simplement, voudraient-ils pas que les pauvres soient mélangés à eux. Mirko a donné à ceux-ci prétexte à exercer leur haine. Et si le risque d’un pogrom venait à se préciser, les migrants devraient être évacués de la Cité Aristote et, pour les familles qui y sont réfugiées, ce serait de nouveau l’incertitude de la route où, somnolant, le front à la vitre, la nausée au cœur, on est trimbalé vers on ne sait quel autre lieu de séjour provisoire, qu’on ne situe pas sur la carte, dont on ne parvient pas même à prononcer le nom, en autobus ou en camion. Mais, heureusement, nous n’en sommes pas là.”


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