Le meurtre de Michèle Soufflot, 7

Régine raconte:
Dans la nuit même qui a suivi cette rencontre sur l’avenue Borriglione, Alain s’est souvenu du reste. Ils s’étaient écroulés sur le même lit. Dans la nuit, il avait entendu la douche, au bout d’un couloir. Michèle n’était plus auprès de lui. Puis, elle était revenue, un instant plus tard, encore mouillée, elle s’était glissée sous le drap et leurs corps aussitôt s’étaient emmêlés, les bras dans les bras, les jambes avec les jambes, les pieds sur les pieds, les bouches collées l’une à l’autre, comme s’ils avaient trouvé l’un dans l’autre l’oxygène qui leur manquait.
Tard dans la matinée, ils étaient descendus sur la place du marché pour acheter de quoi composer une salade. Ils avaient déjeuné en buvant du rosé et ils étaient déjà retournés au lit quand le parlophone a sonné.
Michèle est allée répondre, sans rien sur elle. Puis, elle est revenue dans la chambre et elle a dit:
— C’est François. Il monte!” Et elle ajouté: “Mais non, ce n'est pas grave. Mets juste un pantalon.”
Alors, ils ont reçu François. Celui-ci n’a pas paru surpris ni fâché de les voir ensemble. Il avait autre chose à penser. Il paraissait tendu. Il avait apporté un sac de sport. Il a demandé à Michèle si elle pouvait le garder chez elle. Le ranger quelque part. Elle a répondu que oui, bien sûr, sans demander davantage d’explications.
— C’est bien, je te remercie, a dit François. Je dois repartir. J’ai des amis à prévenir. C’est moi qui viendrai le chercher, personne d’autre. Mais ça peut prendre quelques jours? Ça ira? Tu es sûre?
— Mais oui, ça ira, a répondu Michèle. Ne t’inquiète pas. Sois prudent.
C’était comme si François n’avait pas vu Alain, et comme si Michèle avait oublié sa présence.
Michèle a raccompagné François à la porte. Dans l’ouverture de la porte, leurs lèvres se sont effleurées. Quand elle est revenue dans la chambre, Alain a demandé ce que contenait le sac.
— Tu ne devines pas? a répondu Michèle.
Tout de suite, elle s’est montrée agacée. Hostile. Le visage fermé. Elle n’avait aucune envie de discuter avec lui. Sa pensée était ailleurs. Alain était furieux. Il a dit:
— Ainsi, il ne lui suffit pas de s’en mettre plein le nez, de sa poudre de merde, il faut encore qu’il t’en refile et qu’il en revende? Dis-moi que je me trompe!
Michèle a haussé les épaules. Les paroles ont fusé, d’une violence insupportable. Un quart d’heure plus tard, Alain était parti. En quelques heures, il avait tout gagné et tout perdu. Il était groggy, KO debout, comme un boxeur. Il aurait pu la supplier. Mais il savait que le match était fini.
Dehors, la chaleur était étouffante. C’était un dimanche. Les rues étaient désertes. Il marchait sans savoir. À hauteur de la faculté des sciences, il y avait une cabine téléphonique brûlante de soleil. Il y est entré. Une heure plus tard, la police était chez Michèle Soufflot. Celle-ci a été arrêtée, François aussi, bientôt après, et deux ou trois de leurs amis. Il a fallu que les familles fassent jouer leurs relations pour leur éviter la prison. Quelques années plus tard, François tenait une pizzeria à New York. Quelques années plus tard, on apprenait qu’il était mort.
Et, depuis que ce souvenir lui était revenu en tête, Alain ne sortait plus de chez lui, de peur de la rencontrer. Et au milieu des nuits encore, il croyait la voir dans la rue Puget, debout sous ses fenêtres, le visage levé vers son balcon.
Il faut croire qu’une nuit au moins, elle était là. Avait-elle repéré à son tour la maison qu’il habitait, ou ne faisait-elle que passer? Impossible de savoir. Le fait est que, cette nuit-là, d’après ses propres dires, il est descendu et il l’a frappée. Une seule gifle, de toute sa force. Cette fois, elle est tombée. Une pirouette, son crâne a cogné sur le bord du trottoir, le sang a formé une flaque autour de sa tête, et elle est morte.
C’est lui ensuite qui s’est rendu à la police. Il a parlé. 
— On n’avait pas le sentiment qu’il faisait des aveux”, devait raconter plus tard l’officier qui l’avait reçu. “Il voulait juste savoir s’il avait rêvé ou si Michèle Soufflot était vraiment morte.” 

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