Le meurtre de Michèle Soufflot, 6

— Ensuite, mes souvenirs sont plus confus.
— Dis quand même!
— Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas assisté au concert. Quand je suis arrivé, il y avait foule devant l’entrée, et Michèle était là. Elle semblait égarée, et quand elle m’a vue, elle est venue vers moi. Elle a dit: “Alain, je ne peux pas rester, je suis malade. Ramène-moi!” J’ai dû lui demander où était François, et elle a dû me répondre qu’il n’était pas avec elle, qu’il ne fallait pas l’attendre, qu’il n’existait plus, mais pas davantage. Il n’y avait pas à discuter. Elle est montée sur la moto, derrière moi, elle s’est plaquée contre moi et nous sommes partis.
— Tu l’as ramenée à la Villa Beauséjour, et tu y as passé la nuit avec elle.
— Oui, une seule nuit avec elle.
— Et, évidemment, elle s’en souvenait aussi bien que toi.
— Je ne savais pas si elle me reconnaissait. J’étais sûr qu’elle ne me reconnaissait pas. Puis, un soir, c’était l’automne, je revenais du cinéma de la gare du Sud, je montais l’avenue Borriglione et, à hauteur de la rue Michel-Ange, je l’ai trouvée plantée devant moi. Elle m’a demandé une cigarette, et comme je lui répondais que non, désolé, je ne fume pas, nos regards se sont croisés. Et soudain, j’ai vu une lueur méchante dans ses yeux gris, le regard d’une sorcière, et elle a dit: “C'est vrai, le petit Alain Blasquez ne fume pas!” C’était dit à voix basse, entre les dents. Mais je ne pouvais pas douter de l’avoir entendu, qu’elle l’avait bien dit. Et alors, j’ai été pris à la fois de peur et de colère. Je l’ai écartée d’un geste du bras, elle a failli tomber mais elle n’est pas tombée, seulement une pirouette, et je suis parti à grands pas, en me bouchant les oreilles.
— Un jour, tu m’as dit que ce n’était pas tout. Qu’elle t’avait dit aussi autre chose.
— Je t’ai dit cela? Je ne me souviens pas. Veux-tu bien fermer la fenêtre avant de partir? Oui, merci. Je crois que je vais dormir.
La maison de repos se trouve à Castellane. Quand je viens le voir, il me reste une longue route à parcourir pour retrouver ma maison et mon petit garçon. Aussi, j’essaie de repartir avant la nuit. Ce jour-là, nous avions marché dans le parc, jusqu’au canal qui en marque la limite, bordé de peupliers. Il m’avait parlé des cris d’animaux qu’il entendait la nuit, depuis sa chambre. J’avais enfilé mon blouson, attrapé mon sac, et ma main était déjà posée sur le bouton de la porte quand j’ai entendu, derrière moi, une voix aiguë qui disait: “C'est vrai, le petit Alain Blasquez ne fume pas! Il cherche un téléphone!”
Ce n’était pas une voix humaine. Dans un film, on aurait pu l’attribuer à une chouette perchée sur sa branche.


1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire