La mercière de Clermont-Ferrand, 2

Hall de la gare de Clermont-Ferrand. Yolande et Rosette sont venues attendre leurs amis. Rosette a maintenant six ans. Quand les quatre voyageurs arrivent, ils se présentent en file indienne. Rosette saute sur place et court à leur rencontre.
YOLANDE: Vous avez fait un bon voyage? Vous n’êtes pas trop fatigués?
JÉRÔME: Un peu. Mais nous sommes heureux d’être ici, les garçons et moi. Agathe nous a parlé de Clermont et de ta caverne d’Ali Baba. Nous avons hâte de les découvrir.
YOLANDE: Nous ne sommes pas très loin du centre. Je propose que nous y allions à pied, si les bagages ne sont pas trop lourds et si vous n’avez pas trop froid.
JÉRÔME: Mais non, ce sera parfait. Marchons! 
Le groupe s’engage dans les rues égayées par les décorations de Noël et par les chansons américaines que diffusent des haut-parleurs. Yolande et Agathe sont en tête, les trois enfants les suivent, et Jérôme s’attarde en arrière. Il transporte un sac qui paraît lourd et il s’arrête devant les vitrines.
AGATHE (à Yolande): Tu nous conduis d’abord à l’hôtel?
YOLANDE: Figure-toi que non. À vrai dire, autant te l’avouer, il n’est pas prévu que vous dormiez à l’hôtel. Enfin, je veux dire, pas avant demain.
AGATHE: Tu plaisantes? Qu’est-ce que tu as inventé?
YOLANDE: Ce n'est pas moi. Michèle voudrait que nous dormions tous, cette nuit, dans sa maison. Ça fait des jours qu’elle insiste. J’ai compris que c’était important pour elle. Elle m'a fait préparer les chambres. Nous y serons confortablement installés. Ce sera amusant de se parler d’une chambre à l’autre. Puis de prendre le petit déjeuner ensemble, dans la cuisine. Clovis m’a dit à l’oreille que nous devrions accepter.
AGATHE: Clovis est son ami?
YOLANDE: Oui, son vieil amant. C’est un monsieur très effacé et très charmant. Il s’intéresse à la musique et au jardin. Et je crois qu’il aime beaucoup Michèle mais qu’il craint de la perdre.
AGATHE: Elle est donc malade?
YOLANDE: Il semblerait que oui, depuis longtemps. Et Clovis me laisse entendre que ce Noël pourrait être le dernier. Je ne sais pas d’où il tient l’information. J’espère avoir mal compris, ou qu’il se trompe. Tu verras, les yeux lui piquent quand il parle d’elle.
AGATHE: Mais Michèle a des enfants?
YOLANDE: Oui, un garçon et une fille, qui vivent à l’étranger. Je ne les ai jamais vus. Et, quand il arrive qu’elle prononce leurs noms, ce qui est très rare, Clovis s’éloigne. Je ne pense pas qu’il soit jaloux d’eux, mais plutôt que ses enfants ne sont pas très gentils avec elle.
AGATHE: Penses-tu que Michèle soit riche?
YOLANDE: Sa famille l’a sans doute été. Et il lui reste à tout le moins la boutique et cette grande maison où elle a toujours vécu… Où ses parents sont morts, où elle a eu un mari et où elle a élevé ses enfants.
AGATHE: Clovis pourra continuer de l’habiter?
YOLANDE: Je ne vois pas où il pourrait aller ailleurs. Des deux, c’est lui qui paraît le plus malade. Il s’essouffle. Pendant combien d’années encore, il continuera d’écouter ses vieux disques de jazz et de lire ses partitions? Déjà, pour le jardin, il semble perdre patience. Il y brûle des feuilles mortes, des vieux papiers. Un jour, il brûlera les meubles.
AGATHE: Et, pour ce soir, tu ne crains pas que les enfants fassent trop de bruit? Ils sont excités comme des puces à l’idée des cadeaux qui les attendent. Combien serons-nous?
YOLANDE: Neuf, en principe. Parce que Delphine sera avec nous. Je t’ai parlé d’elle. Elle m’aide à gérer le magasin. En réalité, c’est elle qui fait le travail pour lequel, au départ, j’ai été engagée.
AGATHE: Tandis que toi, tu brodes…
YOLANDE: Oui, je consacre à la broderie de plus en plus de temps, et j’en suis contente. Michèle, je veux dire madame Ibara, m’encourage. Elle y met toute sa force de persuasion. Elle semble toujours pressée de m’apprendre d’autres techniques. C’est une mémoire vivante de tout ce qui s’est fait de mieux en matière de point de croix, en Auvergne et ailleurs. Elle possède une armoire remplie de pièces originales brodées, mais aussi des manuels, des cahiers, des dessins.
AGATHE: Vous avez eu de la chance de vous rencontrer.
YOLANDE: Jamais je n’aurais imaginé que je m'intéresserais un jour au point de croix. Et voilà qu’à présent je reçois des commandes d’un grand couturier parisien. Michèle est ravie.
AGATHE: J’ai annoncé la nouvelle à Jérôme, il ne voulait pas me croire.
YOLANDE : Oui, et pour ce soir, il est possible aussi que Pierre nous rejoigne. S’il peut se libérer. Je n’en ai rien dit à Rosette. Il veut lui faire la surprise. Et plus il y aura de bruit, plus Michèle sera contente, je t’assure. D’ailleurs, je devine qu’elle fera en sorte de nous entraîner à la messe de minuit. Le magasin et sa maison sont à deux pas de la cathédrale.
AGATHE: Pourquoi pas? Mais les enfants dormiront debout. YOLANDE: Nous pouvons les coucher avant. Clovis leur racontera des histoires de loups. Ou peut-être Pierre, des histoires d’anges. Ça leur fera des souvenirs. Parce qu’il ne sera pas question que Pierre vienne à la messe. Je le connais.
AGATHE: Les enfants seront ravis. Les histoires que nous pouvons leur raconter, Jérôme et moi, il les connaissent toutes. Eh bien, c’est entendu. Pourvu qu’il neige!
Jérôme est entré dans la boutique d’un marchand de vin. Les autres l’attendent à l’extérieur. Il en ressort avec plusieurs bouteilles qu’il répartit ici et là, dans des sacs en papier. Yolande lui prend des mains son lourd sac de voyage, et reste près de lui. Et le groupe se remet en marche. Agathe, en tête du cortège, entraîne les trois enfants. Les garçons parlent fort, avec de grands gestes. Rosette lui tient la main. Elle l’appelle “Tata”.


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