Yacine, 4

Puis, un matin, dans la boîte aux lettres qui pend à la grille du jardin, j’ai trouvé un courrier. Il émanait d’un organisme de retraite, et il était adressé à M. Yacine Alaoui, chez Mme Thérèse Mélia.
Je suis remonté, j’ai jeté l’enveloppe sur ma table, et j’ai voulu reprendre mon travail mais je n’ai rien fait de bon.
Toute la journée, j’ai évité de me pencher sur cette enveloppe. Je savais que j’avais bien lu ce qui y était écrit. Jusqu’au soir où, n’y pouvant plus, je suis monté chez mes voisins avec cette enveloppe à la main. C’est Margot qui m’a ouvert. Je lui ai donné la lettre en lui disant:
— Regarde ce que j’ai reçu.
Elle l’a prise. Elle y a à peine jeté un œil et elle a dit:
— Oui, je vois, et alors?
— Tu connais la personne dont le nom est écrit?
Il y avait un ton de reproche dans ma voix. Je me conduisais comme un gamin. Margot a levé les yeux vers moi et elle a dit:
— Yacine Alaoui?
— Tu connais ce monsieur?
— Oui, je sais qui c’est.
— Comment expliques-tu que ce monsieur reçoive son courrier à l’adresse de ma grand-mère?
Margot a hésité. J’avais parlé trop fort. Elle aurait dû me rendre la lettre et me fermer la porte au nez. À la place, elle a dit:
— Entre, s’il te plaît.
Sylvain était occupé à donner sa purée au bébé assis sur une chaise haute. Margot a posé la lettre sur la table, près de lui. Il s’est penché vers elle et il a hoché la tête.
Margot est retournée à la cuisine où cuisait une bonne soupe de légumes. Soir après soir, je mangeais la soupe de légumes que m’apportaient mes voisins. Puis, Margot est revenue. Elle a dit:
— Et toi, Adrien, connais-tu ce monsieur?
— Tu n’aurais pas un verre de vin, par hasard, à m’offrir?
— Sur le buffet. Sers-toi.” Comme j’attrapais la bouteille, elle a trouvé un verre qu’elle m’a tendu pour que je la serve, avant de répéter: “Connais-tu ce monsieur?”
Je l’ai servie, puis Sylvain, puis moi. Mes doigts tremblaient. J’ai bu un verre entier comme si c’était de l’eau, puis j’ai dit:
— Je crois bien. J’ai connu un homme qui s’appelait ainsi.
— Qui?
— Un jardinier, que je voyais au Lavandou, à la villa de mes grands-parents, où j’allais passer mes vacances lorsque j’étais enfant.
— Monsieur Alaoui a bien été jardinier chez tes grands-parents. Ce ne peut être que lui.
— Et, ici, il venait souvent?
— Il vivait ici.
— Tu veux dire…?
— … qu’il habitait ici. Nous l’avons toujours connu habitant chez ta grand-mère. Avec elle.
Je me suis assis sur une chaise, je me suis accoudé sur la table. Je ne voulais plus poser de question. Sylvain, maintenant, mettait le couvert.
— Tu dînes avec nous?
— Oui, je veux bien. Merci.
Plus tard, après dîner, toujours autour de la table, Margot a dit:
— Nous avons hésité à t’en parler, la première fois que tu es venu. Nous ne savions pas si tu le savais ni si tu aurais envie de l’apprendre.
— Je comprends. Vous avez fait en sorte que ce soit moi qui parle. Et, quand ma grand-mère est morte…
— … Monsieur Alaoui a réuni ses affaires et il est parti.
— Savez-vous où il est allé?
— Chez sa sœur. Elle n’habite pas très loin, à Las Planas.
— Vous connaissez sa sœur?
— Aïcha a quinze ans de moins que lui. Elle faisait le ménage chez ta grand-mère depuis plusieurs années, elle lui faisait des courses. Je l’ai employée moi-même quand Gisèle est née. C’est une personne très sérieuse. Ta grand-mère l’aimait beaucoup.
— Je comprends. Je vois. J’imagine que tu as son numéro de téléphone?
— Bien sûr. Quand tu voudras.
— Il va me falloir un peu de temps. Je revois Monsieur Yacine. Il disait que j’avais les pouces verts, et je regardais mes pouces. Je vous remercie pour tout. Pardonnez-moi d'avoir parlé trop fort. J’ai besoin de dormir.


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