Meurtre à Saorge, 5

Enfin, Edward fut de retour et nous reprîmes l’école. Nous approchions de Noël. Nous préparions un spectacle que nous donnerions aux parents avant les fêtes de fin d’année. Edward passait beaucoup de temps le nez dans ses carnets. Il parlait peu. Nous le voyions moins souvent à la maison. Antoinette, de son côté, avait proposé de nous faire chanter. Elle participait à une chorale qui se réunissait à l’église de Sospel, sous la direction d’un vrai chef de chœur, venu chaque semaine de Cuneo, de l’autre côté de la frontière. Elle avait acquis ainsi une vraie compétence et, en outre, elle était convenue avec Edward qu’elle nous apprendrait des chants provençaux dans la belle langue occitane qu’elle maîtrisait à merveille, tandis que lui ne faisait que la lire. Et cet après-midi-là, nous répétions Se canto sous sa direction, et sous l’œil attentif d’Edward et de maman, car maman avait tenu à voir comment se passaient ces répétitions. Mon idée est qu’elle voulait, en outre, surveiller de près Antoinette et Edward. Les détails de la scène, je ne les ai jamais sus, et il est trop tard maintenant pour que j'interroge maman. Mais je peux les reconstituer sans risque d'erreur. Disons donc qu'ils étaient debout, côte à côte, devant Antoinette qui dirigeait le chœur, à nous regarder et à nous écouter, quand soudain Edward s’est tourné vers maman. Il a dit:
— Madame Lombard, Adrienne Lombard, sais-tu si elle avait une sœur, une cousine, quelqu'un de proche? 
Maman fut surprise. À quoi pensait-elle? Pour autant il lui fut facile de répondre:
— Elle avait une sœur, en effet, qui vivait avec elle depuis longtemps. Pourquoi?
— Et cette sœur, au moment du meurtre, où était-elle?
— Oh, il y avait plusieurs mois déjà qu’elles s’étaient séparées.
Antoinette baissa les bras et se tourna vers eux pour faire taire leurs chuchotis. Edward prit maman par la main et l’entraîna dans la cour, où maman poursuivit:
— Nous pourrons demander des précisions à Madeleine, elle doit être au courant. Elle est au courant de tout. Mais, pour ce que j’en sais, les deux sœurs ont fini par se disputer, et même par se détester, pour des riens, des babioles, des histoires de programmes télé et d’élections présidentielles. À force, elles ne pouvaient plus se supporter. Au point que la sœur a voulu partir, ou fait mine de vouloir s'en aller (c’était elle la plus pauvre des deux), Adrienne ne l’a pas retenue, et Julien a loué un studio à Tende pour y loger sa tante.
— Et tu penses qu’elle y est encore?
— Elle n’est pas morte, nous l’aurions appris. Et si elle vit toujours, où veux-tu qu’elle soit d’autre?
— Et tu penses que le neveu continue de s’occuper d’elle? De la voir?
— Il est riche et très attaché à elle, m’a-t-on dit. Célibataire par surcroît. De son côté, Pauline (oui, je crois que c’est son prénom) est veuve, elle n’a pas d’enfant, et la pension de réversion qu’elle touche ne lui suffirait pas à vivre sans l’aide de son neveu. Avec ça, inutile de dire qu’elle perd un peu la tête.
— Merveilleux! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt? Maintenant, je sais où est le ciboire. Il suffit d’aller le chercher, et l’endroit où nous le trouverons suffira à désigner le coupable.


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