2 - Sous les eucalyptus

(4 mars 2020)

LUI - Mon professeur de violon était une dame. Elle habitait sur la colline Saint-Philippe, une maison cubique entourée d’un jardin. Nous y montions à pied depuis le centre ville, ma mère poussant la poussette de ma petite sœur Monique, moi avec mon violon. Et c’était, au début des après-midi de printemps, un éblouissement de lumière et de fleurs. Les leçons étaient données dans le salon du rez-de-chaussée. Celui-ci restait ouvert sur le jardin et, dans le jardin, il y avait un kiosque où les mères attendaient en bavardant, assises sur des bancs en bois, la mienne sans cesser de tricoter et de compter ses mailles, dans la profusion enivrante des parfums et des bourdonnements d'insectes. Mais à la rentrée d’octobre, il fut convenu que j’étais assez grand pour m’y rendre tout seul. Les leçons, en outre, n’avaient plus lieu au début des après-midis mais plutôt vers la fin, si bien que, quand je quittais la petite maison, il faisait nuit.
LE TÉMOIN - Il devait parcourir l'avenue d'Estienne d'Orves, bordée d'eucalyptus, qui domine de haut la voie ferrée et qui alors était déserte, dans une solitude qui n'était pas à la mesure de l'enfant de dix ans qu'il était alors. Il en éprouvait de la peur mais aussi un sentiment d'incompréhensible abandon.
LUI - Quelle faute avais-je pu commettre pour que mes parents se soucient si peu de moi?
LE TÉMOIN - Et, en même temps, à ce moment, sous le grand ciel nocturne, dans le paysage triste et majestueux qui s'ouvrait devant lui, avec le souvenir tout proche de la musique qu'il avait jouée avec son professeur et qui semblait à présent recueillie comme un petit animal qui dort dans la boîte de son violon, qu'il transportait à bout de bras comme une cage, la déréliction ressentie ne manquait pas de douceur.
LUI - De délice.
ELLE - Un mélange de sentiments un peu tristes que, dans la circonstance, tu pouvais accepter, que tu pouvais élire, et qui, par le fait, d'une manière ou d'une autre, ont continué d'accompagner ta vie. 
LUI - Qui m'accompagnent encore. Qui me sont restés fidèles.

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