J’en sais un peu plus sur Karim. Il est serveur à la brasserie La Dominante. J’aurais dû m’en douter. La brasserie La Dominante a été un endroit bien connu des amateurs de foot, parce qu’elle se situe au bas du boulevard Gorbella et que le stade historique de la ville était tout au haut. À peine un kilomètre les séparait, qu’on parcourait à pied. On s’y attardait avant le match et on s’y arrêtait après, en redescendant vers le centre-ville où la famille vous attendait. On avait un peu bu et on allait en chantant dans le soir qui tombait, puis au retour dans la nuit complète qui rendait les silhouettes encore plus incertaines. On était tout au sommet de la ville, déjà dans la campagne, avec de grands immeubles construits ça et là pour coloniser cette campagne, ceux qui avaient accueilli les pieds-noirs après leur retour d’Algérie, et la brasserie La Dominante était le lieu éclairé et confortable qu’on ne se serait pas attendu à trouver dans un pareil faubourg, aussi bien éclairé et conf...
Assez vite je me suis rendu compte qu’elles avaient peur de moi. Les infirmières, les filles de salle, les religieuses, mais aussi les médecins. Quand soudain, elles me rencontraient dans un couloir. L’hôpital est vaste comme une ville, composé de plusieurs bâtiments séparés par des jardins humides, avec des pigeons, des statues de marbre, des fontaines gelées, des bancs où des éclopés viennent s’asseoir, leurs canes ou leurs béquilles entre les genoux, pour fumer des cigarettes avec ce qui leur reste de bouche et, la nuit, les couloirs sont déserts. Alors, quand elles me rencontraient, quand elles m’apercevaient de loin, au détour d’un couloir. Elles ne criaient pas, je ne peux pas dire qu’elles aient jamais crié, mais aussitôt elles faisaient demi-tour, ou comme si le film s'était soudain déroulé à l’envers. Elles disparaissaient au détour du couloir. Je me souviens de leurs signes de croix, de l'éclat des blouses blanches sur leurs jambes nues. Du claquement de leurs pas sur...